Dans le cadre des expositions présentées au Consulat de Colombie à Paris, RDV LATINO a rencontré Rodrigo, à l'origine de l'exposition "La Vida Real". Le photographe revient sur ses origines colombiennes et se confie sur son travail documentaire, réalisé à Medellin.
Présentation:
Rodrigo, 31 ans, photographe documentaire, photo-journaliste du studio
DreamVoyage
Je traite de sujets sur le pourtour Méditerranéen puisque je suis basé sur Marseille en France. Mes travaux se portent sur un axe social-culturel et environnemental, tout en mettant l’accent sur l’univers du voyage, de la culture urbaine et de la jeunesse
Né en Amérique du Sud, je croise également mes projets entre mon pays d’origine: la Colombie et mon pays par adoption, la France. Adopté en 1992 et ambassadeur de cette tranche de population via mon activité, je peux dire que mon parcours personnel est étroitement lié aux conflits survenus dans le pays, lié donc avec cette période d’histoire du pays qui peut être qualifiée d’une des plus triste et violente de Colombie.
Mon adoption a un impact significatif dans les reportages photographiques, humanistes, sociaux- culturels et d’anticipations que je mène, avec toujours un message d’espoir et dénonciateur en adéquation avec les différentes luttes sociales du XXIe siècle.
Depuis ton enfance, quel lien entretiens-tu avec la Colombie?
Adopté en 1992 par des parents français qui ont vécu 3 années sur Cartagena dans les années 80.
Par mes souvenirs des ruelles de ma petite enfance, de la robe rouge de ma nourrice, Adela, par les odeurs, les images ancrées dans ma mémoire. Ajouté à cela par l'environnement familial, (mon frère adoptif est également de Colombie) l'Amérique latine n'a jamais vraiment quitté notre foyer. Peut-être par ma volonté de revendiquer fièrement mes origines, de ne pas savoir ni vouloir oublier d'où je viens et qui j'étais...ou plus justement dit: Qui je suis.
Un enfant de cette terre, meurtrie par les conflits et l'instabilité qui persiste mais aussi une terre riche de ses cultures ancestrales encore vivantes, d'un métissage unique, d'un pouvoir de résiliance et de créativité émanant de sa population.
Le lien que j'entretien avec la Colombie est une histoire d'Amour unique commencée par une rupture sentimentale déchirante, de peines profondes avec elle mais que j'essaie de pardonner, de charmer et d'aimer depuis 27 ans maintenant. D'ailleurs j'ai toujours eu ce désir de renouer de manière pérenne, réfléchie et saine avec mon pays d'origine, sans pouvoir le faire réellement jusqu'ici. La photographie sociale pour me ré-enraciner dans la société Colombienne semble être la réponse avec cette exposition au Consulat de Colombie, donc la reconnaissance de mon identité Colombienne et artistique.
A quel âge es-tu retourné là-bas pour la première fois?
J'ai eu l'occasion de revenir en Colombie 16 ans après mon déracinement, donc à 20 ans en 2009.
Quelle image avais-tu en tête du pays avant d'y retourner?
J'avais entrepris personnellement des recherches artistiques & culturelles en m'interessant aux écrits de Gabriel Garcia Marquez, à l'univers de l'artiste antioqueno Botero, aux cultures indigènes encore présentes sur son territoire, jusqu'à ses musiques et danses, Cumbia, Vallenato, Salsa et Chants. Des musiques aux influences hispaniques, afro-caribéennes et indigènes comme le porte si bien en elle, Toto La Momposina. Sans oublier aussi mon intéret à la culture urbaine formidablement représentée à l'internationale par le groupe Tres Coronas de Sebastian Rocca, bien avant la nouvelle vague de chanteurs pop-urbain de ces dernières années. Mais l'image première que j'avais du pays est un mélange de souvenirs personnels, dans les ruelles de Villavicencio où j'ai grandis, la capitale des Llanos Colombiens à la lisière de l'Amazone. Je garde des images de jeux, des souvenirs de la chevelure brune de Adela et des odeurs voire de saveurs exotiques et tropicales de la région. Malheureusement ces souvenirs sont mêlés, confrontés et soumis au dictact de l'image que la Colombie a aux yeux du monde et particulièrement ici, en Occident. Où son image est écornée, caricaturée voire vendue unilatéralement. La Colombie engendre une forme de fascination et de surenchère, elle est devenue comme un symbole de la violence dans la culture occidentale, martelée comme telle sans relâche par les médias, le cinéma, la littérature, les séries et l'industrie de la musique voire du textile.
Bien que cela change timidement, depuis que je suis arrivé en France, j'entendais quotidiennement cette sainte devise lorsque je déclinais mon identité: "Farc, Narcos et Pablo Escobar" parfois Shakira maintenant Maluma ou J Balvin...
Est-ce qu'une fois sur place, tu as découvert une autre Colombie que celle de tes souvenirs?
Non, j'étais persuadé que j'allais retrouvé la Colombie que j'avais quitté, un territoire certe instable, pauvre et violent mais aussi rempli d'énergie, d'amour et de joie qui finalement m'enivre d'une mélancolie indéfinissable.
La photographie est le médium que tu as choisi pour raconter ton pays natal, pourquoi et comment est née cette sensibilité artistique?
L'image a toujours été présente dans mon existence, elle s'est d'abord déguisée par le dessin, la peinture y compris par l'écriture où j'aime utiliser de métaphores et l'univers de l'imagerie, d'user d'un certain réalisme magique (cf: Gabriel Garcia Marquez)
Mais son meilleur déguisement semble être un boitier noir autour du cou, la photographie est venue à moi comme une pétale de rose se posant délicatement sur mon bras.
L'image façonne la perception de notre société jusqu'à notre propre identité, elle est partout, à tous moments, véhiculée sur tous les supports matériels et immatériels. Nous vivons dans une époque où l'image de l'autre, où l'image de soi où l'image d'un ensemble est au centre de l'attention, des critiques et des jugements, qui peuvent donc influencer les reflexions et décisions, fractures et rassemblent les opinions. L'image peut être une arme de distraction et/ou de destruction silencieuse selon la manière dont elle est utilisée et diffusée. Elle est pernicieuse, c'est pour ça, je pense qu'on lui accorde inconsciemment une valeur inestimable.
Dans ce contexte le choix de la photographie pour raconter mon pays natal n'est donc pas anodin dans une société moderne où elle est maitresse de la pensée, je l'utilise pour déconstruire certains une société où la dictature de l’image est reine, et a véritablement le pouvoir d’alimenter, véhiculer voire tromper les opinions et réflexions de chacun. Dans une société où les bouleversements idéologiques et communautaires divisent et dominent notre civilisation. Dans une société en proie aux crises sociales, dérèglements climatiques mise en exergue par le réchauffement et l’effondrement de la biodiversité.Par une photographie nous pouvons résumer une histoire, qui nous auras demandé 3 pages pour la retranscrire au stylo et par 3 pages de photographies nous pouvons résumer toute une époque.
J'utilise la photographie afin de me ré-approprier les sujets de société qui composent notre génération et déconstruire certains mythes que la dictature de l’image à imposé dans notre pensée collective.
Comment est né le projet "La Vida Real"?
Avec comme base narrative, des récits auto-biographiques et une prise de conscience mêlés à une quête de vérités, [La Vida Real] est un projet documentaire, c'est aussi la partie personnelle du projet [MadeIn Medellin] que je mène avec un ami-artiste Colombien issu des Beaux Arts de Medellin et politologue de l'Université Nacional, membre de mon collectif Dream Voyager; Andrès Carmona Arango.
Je propose en flirtant avec la notion de frontières visibles et invisibles, une exploration urbaine en noir et blanc dans les barrios pauvres de Medellin, dans ses territoires morcelés, intégrés ou non, aux uns et aux autres, avec leurs histoires et communautés respectives. Je m'appuie également, sur ses souvenirs personnels, rêves et recherches documentaires, afin de retranscrire au mieux une réalité fragile de la société Colombienne.
Je réhabilite ainsi l'image de son pays d'origine en immortalisant avec respect, sensibilité et
simplicité une vie quotidienne qui s'y développe et/ou se transforme. La ville de Medellin a été choisie pour entreprendre ce documentaire, pour le mythe qu'elle a engendré. Cette image fascinante qu'ont les anciennes et nouvelles générations, liée à son histoire avec le narcotrafic et les guerillas urbaines passées ou encore présentes, dans cette ville de plus de 2 millions d'habitants.
Des individus qui ont eu une vision unilatérale influencée par des idées préconçues, des stéréotypes, présentés et entretenus par les médias, le cinéma, les séries et même l'industrie musicale. Je confronte donc le regard personnel critique de chacun à une certaine authenticité sociale collective.
Le projet ne nie pas l'histoire de la violence qui persiste dans le pays, et est dédié aux victimes des conflits armés, dont les enfants et les femmes sont souvent, les premières victimes collatérales oubliées, encore aujourd'hui.
Mais [La Vida Real] préfère mettre en contrepoids et en valeur la richesse culturelle artistique, multiethnique, la résilience, le pouvoir de renaissance et les projections futures d'esperances du peuple Colombien.
Dans ce contexte le noir et blanc est un choix personnel assumé pour garder cette neutralité indispensable dans mon envie de rendre les lettres de noblesse à ce pays. Le noir et blanc peut aussi signifier un devoir de mémoire vis à vis des victimes de l'histoire de la violence. Je ne veux pas prôner un pays "folklorique" et "safe" alors qu'il y a encore plus d'un quart de la population qui vit sous le seuil de pauvreté, je ne peux pas fermer les yeux sur la violence toujours présente et les nouvelles mafias qui s'imiscent dans toutes les stratifications sociales du pays. Mais je veux puiser dans l'humanité de la population pour travailler une image plus réelle, actuelle et fidèle de sa société. Le noir et blanc peut être aussi vu comme un choix esthetique mais dans ce cas c'est plus un engagement de "mémoire".
La [Vida Real] est un travail de terrain, de projections et de rencontres, c'est une exploration de plusieurs mois dans les quartiers pauvres de Medellin à la recherche de projets, d'histoires et de personnes qui ont un é lan cons t ruc t i f pour les communautés qu'ils représentent. Le choix de présenter des projets et/ou personnes porteurs dans une dimenss ion progress i s te, s'est fait au fil des rencontres et de complicités en construisant une confiance mutuelle avec les communautés photographiées et par l'intégration directe de ces dernieres à ce projet.
Exemple: J'ai proposé un évenement culturel dans un des barrios, une exposition urbaine en faisant un circuit photographique avec des affiches collées sur les murs des maisons, des artistes locaux, danseurs, rappeurs, musiciens se sont greffés à l'exposition pour en faire une véritable fête de quartier, plus de 200 personnes y ont participé.
Mais c'est aussi un travail de réflexions et de remise en questions, je m'impose parfois de garder une distance avec mes sujets pour capter avec naturel, décence, respect et sans stéreotypes les moments que je veux présenter. Ce sont donc parfois des rencontres éphèmeres dans une journée.
As-tu la double nationalité française/colombienne?
Si tu devais résumer la Colombie en une phrase?Si tu devais résumer la France en un phrase?
Je dirais que Rodolfo Aicardi, chante si bien ce sentiment et rapport que j'ai avec la Colombie dans son titre "Que No Quede Huella" mais si je devais résumer en une phrase:
Des histoires d'Amour parsemées de ruptures sentimentales, comme avec une amante. La France? Une très belle femme qui se sait trompée mais qui continue de m'aimer. (rire).
Oui, j'ai la double nationalité, quand tu nais en Colombie, tu le restes ad vitam aeternam! De plus les enfants colombiens adoptés après 1991, si mes sources sont bonnes
et l'Apec) gardent leur nationalité Colombienne automatiquement et c'est tout ce qu'ils gardent (cf La Voix des Adoptés d'ailleurs.... Et j'avoue que c'est une certaine fierté de toujours la porter et pouvoir la transmettre un jour.
Que voudrais-tu dire à toutes les personnes qui demeurent avec une
image "assez noire" de la Colombie?
Qu'il est normal d'avoir une image négative de la Colombie, d'ailleurs elle tend à changer dans un sens beaucoup plus folklorique, il y a un nouvel attrait touristique autour de ce pays. Est ce bien? Est-ce mal? Je ne peux pas en juger objectivement, ce qui est sûr, c'est que ce nouvel engouement est le résumé d'un début de transformation de perception.
Je pense que pour se défaire d'une image, il faut la cotoyer quotidiennement donc le voyage est une des réponses pour mieux connaitre ce pays, mais aussi de s'intéresser à sa culture et les artistes qui la promeut.
Quels sont tes projets artistiques?
Mes principaux projets artistiques se concentrent sur la promotion, diffusion et la construction de la suite de mon projet documentaire [La Vida Real] également d'autres idées sur le bassin méditerraneen, au Maroc,en Italie et sur Marseille. Enfin,
ainsi que celui de [MadeIn Medellin, j'ai ayant créé un collectif d'artistes, j'essaie de défendre et d'accompagner certains projets et oeuvrer sur l'idée d'ouverture de ce collectif à d''autres artistes et mouvements artistiques.
Un mot sur le groupe de musique qui anime le diaporama photos présentée au sein de l'exposition?
Kodigo 8 est un des groupe d'artistes musiciens soutenu par l'alcadia de Medellin dans le quartier la Sierra, anciennement également un quartier soumis aux guérillas urbaines. Des collaborations artistes naissent avec des membres de Kodigo 8 et d'autres artistes. Dans ce trite "abraza el cambio" c'est Jhoneer The King & Kilos Flow, deux rappeurs ayant une renommée qui se joignent pour chanter la paix et les changements notables qui a pu avoir dans leur quartier. Au refrain, il y a Harrison, un jeune d'un autre groupe social "La Sierra es otro cuento" avec lequel j'échange régulièrement, avec qui j'ai créé une complicité particulière, c'est lui qui m'a ouvert entre autre l'accès à ce quartier.
Peux-tu présenter une photo de Medellin qui ne figure pas à l'exposition du Consulat de Colombie?
©Rodrigo
Photo prise dans la Comuna 13, un secteur composé de plus vingt-deux quartiers légaux ou informels, tristement célèbre pour être l'un des anciens bastions des sicarios de Pablo Escobar, tristement célèbre également pour les opérations militaires succesives et contreversées, Mariscal et Orion de l'Etat Colombien avec comme prétexte de pacifier le secteur, gangréné par la haine envers le régime, alimenté par le traffic, auto-protégé par l'organisation en commuanutés et diasporas de ces territoires. Cette Comuna est également devenuemaintenant vitrine touristique par ses graffitis tours qui amènent chaque année des milliers de touristes autour du Street Art.
Mais ici c'est une scène avec une femme, Estella, qui tient une petite cuisine ayant pignon sur rue avec laquelle j'ai beaucoup d'affection, elle cotoie les Berracas de la 13, groupement de femmes qui se mobilisent pour valoriser leur situation dans leurs quartiers. Je me suis lié d'amitié avec sa leader,
Paola. J'aime particulièrement cette photo car c'est une scène typique des moments de vie qui peut se dérouler en cours de journée où les habitants offrent chaleureusement leurs services aux touristes et locaux passants dans la rue. J'aime ce rapport innocent car Estella a connu et vit toujours les violences urbaines mais à première vue, on ne s'en doute pas . Sa spécialité: Les Empanadas.
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